top of page

Prospection, IA et nouveaux commerciaux : Où sont passés les chasseurs ?

  • Photo du rédacteur: David Eyraud
    David Eyraud
  • 25 mars
  • 21 min de lecture

Introduction

Il fut un temps où la prospection téléphonique était reine. Un temps où vous pouviez composer un numéro et tomber directement sur le décideur, ou tout du moins sa secrétaire, pour engager une conversation, poser des questions, écouter, argumenter et, si tout se passait bien, obtenir un rendez-vous ou une vente directe. Les plus courageux – qu'on appelait des « chasseurs » – n'hésitaient pas à multiplier les tentatives, à personnaliser chaque approche, à rechercher en amont pour être convaincants en quelques secondes. On entendait le claquement des touches sur le téléphone et on voyait ces commerciaux empiler les fiches propspects sur leur bureau, un crayon coincé derrière l'oreille et un sourire confiant accroché aux lèvres. À l'époque, l'enjeu, c'était la relation, la dimension humaine. L'art de la conversation, de la relance au bon moment, du pitch bien fixé.

Aujourd'hui, le décor a changé. On vit à l'heure de l'intelligence artificielle (IA), de la prospection multicanale, des outils de gestion de relations clients (CRM) ultra-performants (ou prétendus tels). Les entreprises vantent les mérites de robots conversationnels, de scripts d'e-mails automatisés, de centres d'appels à distance ou délocalisés, où une armée de jeunes commerciaux – parfois rebaptisés « Customer Success Manager » ou « Sales Development Representative » – appliquent à la lettre un processus avant de passer la main à un Account Manager. Dans le même temps, on voit fleurir des solutions soi-disant magiques comme Lemlist, Mailchimp, Lusha, Ringover, Sellsy, Hubspot, Pipedrive… toutes avec l'idée de rendre la prospection plus fluide, plus systématique, plus rentable. Pour paraphraser certains arguments publicitaires : « Laissez l'IA faire la prospection à votre place et concentrez-vous sur la conclusion des ventes ». Autrement dit, on nous promet un monde où l'humain pourrait presque disparaître de l'acte de prospection, ou en être relégué à quelques interventions sur le tard.

Faut-il s'en réjouir ? Est-ce que tous ces nouveaux outils, toutes ces nouvelles méthodes de prospection, vont réellement remplacer ce bon vieux coup de fil direct, ce face-à-face où l'on jauge le regard de son interlocuteur, cette écoute active qui permet de rebondir au quart de tour ? J'ai mes doutes. Non seulement je doute de l'efficacité (dans certains contextes) de l'IA et de l'automatisation, mais je constate aussi que les « nouveaux » commerciaux y perdent leur âme et, en tout cas, leur mordant. Où est passée la fougue du chasseur expérimenté, prêt à essuyer les refus, les critiques, la concurrence, pour finalement décrocher un gros contrat ? Où sont les débrouillards capables de créer un lien sincère, de rebondir sur une phrase, une intonation, une hésitation ? À force de vouloir tout standardiser et industrialiser, on en arrive à produire de véritables machines à discours. Et le prospect, la réception des e-mails convenus, finit par ignorer le plus souvent ces sollicitations mécaniques. Quant au téléphone, on ne sait même plus s'il est utilisé comme un véritable outil de contact direct ou juste comme un support pour réciter un script.

C'est ce paradoxe que je me propose d'explorer dans cet article fleuve. J'y exposerai mon constat – celui d'un « vieux » de la vente qui a eu l'occasion de tester plein de CRM, d'assister à des démos, de comparer les approches. J'expliquerai pourquoi, à mon sens, l'IA ne remplacera pas la prospection téléphonique et, plus largement, le rôle fondamental d'un commercial au contact de la réalité. Le ton ? Il sera critique, direct, sans langue de bois. Peut-être un peu grinçant par moments, mais toujours dans l'optique de pointer les vraies questions, celles qui fâchent : celle du tutoiement à outrance, des check-lists débitées d'une voix monotone, ou encore des interrogations alambiquées qui n'ont qu'un but : pousser la perspective dans un tunnel de vente prédéfini, quitte à le faire tourner en rond. Alors, attachez vos ceintures et préparez-vous : je vous embarque dans les méandres de la prospection moderne, entre illusions technologiques et nostalgie d'une chasse authentique.



1. Le constat : une vente soi-disant « révolutionnée » par l'IA

1.1. La promesse d'une automatisation totale

Qui dit IA dit, dans l'imaginaire collectif, sophistication extrême, algorithmes superpuissants, réduction des tâches répétitives et, surtout, gain de temps. Dans le domaine commercial, cela est traduit concrètement par des outils capables de :

  • Scraper automatiquement les listes de contacts (via des modules comme Lusha ou d'autres)

  • Générer des e-mails personnalisés (du moins en apparence) avec Lemlist ou Mailchimp

  • Scorer les leads selon des critères prédéfinis pour identifier ceux qui sont « chauds »

  • Prévoir les moments opportuns pour relancer un prospect

  • Optimiser le suivi via des CRM complets comme Hubspot, Pipedrive ou Sellsy

Sur le papier, c'est merveilleux : vous passez moins de temps à faire de la saisie, à chercher des coordonnées et à copier-coller des messages. Fini les heures de fastidieuse recherche pour trouver l'adresse e-mail du décideur ! L'IA vous mâche le travail, vous recommande des formulations, parfois même traduites en plusieurs langues. Certains vont même jusqu'à dire que l'IA peut analyser les réponses des prospects et y répondre automatiquement avec le bon degré d'empathie ou d'argumentation. On parle alors de « Sales Engagement Platform » intelligente, ou de chatbots capables de dialoguer à la place d'un humain.


1.2. Des commerciaux « nouvelle génération » formés à la méthode agile (ou du moins une version édulcorée)

En parallèle, on a vu l'émergence de commerciaux « nouvelle génération », très à l'aise avec les outils numériques. Ils jonglent entre Slack, Zoom, Teams, LinkedIn, les CRM, les plateformes d'automatisation, etc. Ils en maîtrisent les techniques de rouages, ou en tout cas la façade. Ils ont été formés au « social Selling », l'art de prospecter via LinkedIn, de publier du contenu, de rejoindre des groupes, de commenter les posts pour se rendre visibles. Le téléphone n'a pas disparu pour autant, mais il est devenu un canal parmi d'autres : le fameux « multicanal ». E-mail, appel, chat, réseaux sociaux, webinaires… L'objectif étant de multiplier les points de contact pour espérer toucher le prospect d'une manière ou d'une autre.

Ces commerciaux ont un sens aigu de la méthodologie de vente : ils parlent de « funnel », de « pipeline », de « lead nurturing », de « scoring ». Ils sont formés à suivre des processus stricts dans le CRM, alimentant régulièrement des fiches prospects. Ils fixent des objectifs, des KPI, des taux de conversion. Ils utilisent parfois des scripts (officiels ou internes) pour qualifier les leads en visio, poser les questions. Souvent, ils ont un deck de présentation tout prêt, qu'ils déroulent lors des démos. Ils peuvent être très sympas, souriants, avenants. Mais ils peuvent aussi donner l'impression de vous mettre dans une case, de suivre à la lettre le parcours d'un cycle de vente prédéfini. Vous êtes un « lead », un point statistique dans un tableau, et leur travail est de vous faire avancer dans le tunnel, jusqu'à la fermeture.


1.3. L'illusion du « tout-tech » : quand l'IA et l'automatisation deviennent contre-productives

Le grand problème, c'est que beaucoup de gens veulent croire à l'illusion d'une vente où l'IA serait à 80% du travail et où le commercial n'aurait plus qu'à glisser vers le closing. Or, dans les faits, on obtient souvent des sollicitations impersonnelles, des e-mails génériques qui se repèrent à trois kilomètres à la ronde, des « messages LinkedIn » qui commencent par « Bonjour David, j'ai remarqué que nous partageons le même secteur d'activité… ». Sans parler de ces chatbots qui ne sont pas fichus de s'adapter à la spécificité d'une question un peu pointue.

Et si, par hasard, vous répondez à l'un de ces messages pour demander plus d'infos, vous vous retrouvez avec un commercial qui vous relance exclusivement avec le même script, le même vocabulaire, qui vous tutoie d'emblée, vous appele par votre prénom comme s'il vous connaît depuis dix ans. Alors certes, certains préfèrent le tutoiement direct, la décontraction. Mais ce n’est pas universel. Et encore moins quand on a 20-25 ans et qu'on s'adresse à des dirigeants plus âgés.

Bref, à force de vouloir faire « comme s'il vous connaissait », le commercial montre surtout qu'il applique un processus. Il n'est plus ce chasseur à l'affût, capable de s'adapter en temps réel, de personnaliser son approche en fonction des signaux que vous envoyez. Il est devenu, consciemment ou non, le rouage d'une machine à leads.


2. L'âge d'or de la prospection téléphonique : souvenirs d'une chasse authentique

2.1. La prospection à l'ancienne : composer un numéro, tomber sur un humain

Revenons quelques années en arrière, à une époque où l'on n'avait pas toute cette panoplie d'outils numériques. On avait un téléphone fixe, un répertoire, peut-être des listings papier, et beaucoup de patience. On pouvait passer des heures à appeler des entreprises, à essayer de franchiser le barrage de la secrétaire pour parler au patron ou au responsable des achats. Parfois, ça passait. Parfois, on essuyait un refus poli ou une excuse vaseuse. Mais on apprenait à rebondir, à poser des questions, à jouer sur le ton de la voix.

Dans ces moments-là, on développait des compétences de chasseur : l'endurance véritable, la ténacité, la répartie, l'aptitude à ressentir l'humeur de l'interlocuteur. On a travaillé son script, certes, mais on savait le faire évoluer de manière spontanée en fonction de la réaction en face. Le but n'était pas de réciter bêtement des punchlines, mais de créer un lien humain, aussi fugace soit-il. Et quand ça marchait, quelle satisfaction ! Obtenir un rendez-vous après 15 coups de fil infructueux, c'était la preuve qu'on avait de la persévérance et qu'on savait s'y prendre.


2.2. L'importance du relationnel : écouter, questionner, argumenter

Lors d'un appel téléphonique à l'ancienne, vous avez dû écouter les signaux de l'interlocuteur : son intonation, ses soupirs, ses hésitations, ses silences. Cela forçait le vendeur à s'adapter, à ajuster son rythme, à reformuler. L'écoute était un pilier de la prospection. Pas de chatbot pour répondre à votre place, pas d'automatisation. C'était vous, votre oreille, votre empathie, vos neurones.

Ensuite, il y avait l'argumentation. On ne pouvait pas se contenter d'envoyer un PDF ou un lien vers un article de blog. Il fallait convaincre de vive voix, répondre aux objections sur l'instant. On a travaillé sur sa proposition de valeur, ses arguments clés. On jouait aussi sur sa voix, sa posture (même au téléphone, la posture compte, ne serait-ce que pour libérer son souffle et projeter la confiance).

Enfin, on pouvait passer du simple coup de fil à un rendez-vous physique. Là, on entrait vraiment dans le dur : le contact visuel, la poignée de main, la démonstration d'un produit, la présentation de slides (bien plus rudimentaires qu'aujourd'hui, parfois sur support papier !). On pouvait lire les réactions de la personne en face, repérer les signes d'intérêt ou de désintérêt. Bref, on était dans du concret, du palpables, avec des vraies interactions humaines.


2.3. Le closing en direct : le « panache » des vrais vendeurs

Et puis, il y avait le moment du closing. Celui où on sortait le contrat, où on évoquait la signature, le prix, les conditions. On sentait le stress monter, on sentait aussi l'adrénaline. C'était là que tout se jouait. Un bon chasseur savait déceler le bon moment pour conclure, sans trop forcer, sans tomber dans le malaise ou l'insistance lourdingue. C'était un art. Un art qui se peaufine avec l'expérience, l'observation, la remise en question.

Croyez-moi, on ne développe pas ce talent en se contentant de transférer le lead à un « closer officiel » après avoir coché quelques cas sur une checklist.. Le closing, c'est un savoir-faire qui repose sur la confiance accumulée durant tout le processus de vente, sur la qualité de la relation établie, sur la pertinence des arguments avancés. C'est aussi là qu'on découvre si l'on est fait pour la vente ou non. Parce que certains abandonnent, tétanisés au moment de demander l'engagement. D'autres, au contraire, s'en délectent et y voient un défi stimulant, presque un jeu.


3. Les démos, les CRM et la génération zoom : expérience personnelle

3.1. Multiplier les démos pour comprendre… et se sentir comme un « lead »

Dans mon parcours, j'ai testé plusieurs CRM : Hubspot, Pipedrive, Sellsy. J'ai aussi eu des présentations de Lemlist, Ringover, Mailchimp, Lusha. Pourquoi ? Parce que je suis curieux, et aussi parce qu'en tant que dirigeant ou consultant, je voulais comprendre les bénéfices réels de ces solutions. Alors j'ai multiplié les visios et les démos avec des commerciales de ces boîtes. Souvent, le schéma était le même : je m'inscris pour un essai gratuit ou une demande d'infos, et dans les heures qui suivent, je reçois un mail personnalisé (en réalité, semi-automatisé) m'invitant à fixer un rendez-vous Zoom/Teams/Google Meet.

Arrivez le jour de la démo. Le commercial se connecte, me salue en m'appelant par mon prénom, me tutoie parfois d'emblée. Je vois quelqu'un qui a souvent la vingtaine, l'air dynamique, l'allure impeccable (ou la barbe naissante soigneusement taillée). Il a un écran à partager, un script en filigrane. Il me demande : « David, tu peux m'expliquer ton besoin ? Ton contexte ? Ta stratégie ? ». J'essaie de lui répondre sincèrement, mais je sens vite que ses questions sont préformatées. Il veut m'emmener dans un chemin balisé : parler d'abord du contexte pour justifier la solution qu'il va me présenter, puis me sortir quelques slides.

Au bout de dix minutes, je vois bien qu'il coche des cases dans son CRM ou dans un autre outil. Il m'explique les fonctionnalités, la valeur ajoutée, le fameux ROI (retour sur investissement). Il me pose des questions parfois alambiquées : « Comment envisage-tu ta stratégie RH à moyen terme pour soutenir le développement commercial ? » Je me dis : « Qu'est-ce que ma stratégie RH a à voir avec un outil de prospection par e-mail ? ». Mais je comprends vite l'astuce : il veut me faire verbaliser un problème pour y raccrocher sa solution. C'est un peu du « spin Selling » revisité, sauf que c'est souvent maladroit.


3.2. Un questionnement trop scripté, une écoute minimale

Ce qui me frappe, c'est le manque d'écoute réelle. Si je sors de la route, si je pose une question précise (par exemple : « Comment votre outil se connecte-t-il à mon ERP ? Est-ce qu'il y a une API disponible ? »), il se perd un peu et me renvoie vers la documentation ou un collègue technique. Le flot d'arguments prévus dans le scénario est plus important pour lui que l'échange authentique.

De même, on me fait rarement raconter ma situation dans le détail. C'est plutôt un prétexte pour dérouler un argumentaire tout fait. Je me sens parfois comme un pantin dans un théâtre où tout est orchestré. Dès que la démo touche à sa fin, on me parle de « next step » : on me propose un essai gratuit (que j'ai déjà, en général), on me promet un suivi, on me demande un créneau pour un deuxième rendez-vous où « on pourra parler tarif ». En clair, on me fait avancer dans le tunnel de vente. Je ne suis plus qu'un « lead qualifié » (ou pas) qu'il faut traiter.


3.3. L'effet d'industrialisation : où est la chasse, où est l'humain ?

Tout cela me laisse un goût amer. Car j'ai l'impression que ces outils, ces processus, ont formaté la vente. On veut de l'efficacité, du volume, de la scalabilité, mais on perd la personnalisation poussée, l'art du questionnement spontané, de l'écoute profonde. Quand on compare cela à la prospection d'antan, certes plus artisanale, on se dit qu'on a gagné en rapidité, en portée (nombre de prospects contactés), mais qu'on a peut-être perdu quelque chose d'essentiel : la relation humaine, la notion de chasse.

Car oui, la chasse, ce n'est pas juste appeler 50 personnes au hasard dans une journée. C'est aussi repérer les bonnes cibles, s'y intéresser sincèrement, chercher des informations sur elles, sur leur parcours, leurs besoins, leur personnalité. C'est préparer ses arguments en fonction de ces données, mais aussi être prêt à improviser. C'est, en un mot, faire du sur-mesure. Et ça, aucune IA ou aucun script ne peut vraiment l'imiter. Du moins, pas encore.


4. L'émergence de la prospection multicanale : avantages et limites

4.1. Comprendre le concept de multicanal

Aujourd'hui, quand on parle de prospection multicanale, on entend l'utilisation simultanée de plusieurs canaux pour toucher le prospect : e-mail, téléphone, SMS, réseaux sociaux, chat, publicités ciblées, etc. L'idée est de multiplier les opportunités de contact et de rester présent dans l'esprit du prospect. Sur le papier, c'est séduisant : certains prospects préfèrent l'e-mail pour avoir des infos à tête reposée, d'autres sont plus réactifs sur LinkedIn, et parfois un coup de téléphone peut faire mouche si on tombe au bon moment.

Les logiciels comme Lemlist ou Hubspot proposent des séquences multicanales : par exemple, un premier e-mail de présentation, puis un deuxième e-mail si pas de réponse, ensuite un message LinkedIn, puis un appel téléphonique, etc. Tout ceci est programmé à l'avance, avec des modèles personnalisables. On peut ainsi automatiser une grande partie du processus de prospection, en laissant malgré tout le choix à l'opérateur de déclencher ou non certaines actions.


4.2. L'automatisation « intelligente » : gains de temps réels ?

On ne peut pas nier qu'il y ait des gains de temps énormes. Au lieu de passer des heures à composer soi-même des e-mails ou à copier-coller des messages, on paramètre une campagne, on importe une liste de contacts et on laisse la machine faire le boulot. Ensuite, on reçoit des notifications lorsqu'un prospect ouvre l'e-mail ou clique sur un lien. On peut prioriser nos relances en fonction de l'engagement supposé du prospect. En théorie, cela rend la prospection plus rentable, puisqu'on consacre moins de temps aux tâches répétitives.

Mais la limite, c'est que cette automatisation produit souvent un effet de masse. Les prospects reçoivent des flots d'e-mails du même acabit, et développent des réflexes d'autodéfense : suppression directe, ignorance, filtre anti-spam. Les messages LinkedIn perdent leur pertinence quand on voit qu'ils sont visiblement copiés-collés. Et si, par malheur, vous multipliez les canaux, vous risquez de harceler le prospect qui, de toute façon, n'est pas intéressé. Vous gagnez en volume, mais vous perdez en finesse.


4.3. La « déshumanisation » de la prospection : une fatalité ?

Certains diront que ce n'est pas fatal, qu'on peut personnaliser les messages de manière intelligente, segmenter finement sa base de données, choisir le bon timing pour appeler. C'est vrai, jusqu'à un certain point. Mais le fait est que beaucoup d'entreprises, par souci de rentabilité, exploitent ces outils de manière industrielle. Elles préfèrent arroser un large public plutôt que d'investir du temps en amont pour cibler les meilleurs prospects. Résultat : les commerciaux sont transformés en opérateurs de campagnes. Ils passent moins de temps à affûter leur argumentaire, à peaufiner leurs techniques d'écoute, à développer leur instinct de chasseur. Ils se reposent sur la machine.

Et c'est là que le bât blesse. Parce que la prospection, c'est avant tout une affaire de rapport humain. On peut envoyer 10 000 e-mails, générer 100 réunions, mais si chaque réunion est menée par un commercial qui se contente de cocher des cas et de réciter un script, le taux de transformation risque d'être minable. À l'inverse, un chasseur chevronné qui envoie 100 e-mails hyper-ciblés, qui décroche 10 rendez-vous et qui en conclut 5, aura fait un meilleur travail commercial. Or cette qualité-là, l’IA et l’automatisation ne la garantissent pas.


5. Pourquoi l'IA ne remplacera (pas si vite) la prospection téléphonique

5.1. La voix reste un vecteur d'émotion irremplaçable

Les chatbots évoluent, les IA de synthèse vocale aussi, mais à ce jour, rien ne vaut la voix humaine d'un bon commercial, capable de moduler son rythme, son intonation, de laisser des silences pour laisser l'autre s'exprimer, de détecter un soupir, une hésitation, un éclair d'intérêt dans la voix de son interlocuteur. Cette sensibilité, cette empathie, c'est le socle d'une vente réussie.

Même si on développe un jour des IA capables de modéliser parfaitement la voix et l'émotion humaines, il restera toujours ce petit quelque chose d'authentique et de spontané qui fait la différence. Les gens achètent aux gens. Ils ont besoin d'une conversation sincère, d'une écoute réelle. Un robot peut feindre la compréhension, mais dès qu'on s'écarte du script, il s'égare.


5.2. L'improvisation et la réactivité humaine, clés de la persuasion

La vente, surtout en prospection téléphonique, c'est l'art de l'improvisation. Vous pouvez avoir un plan, un argumentaire, mais vous devez être prêt à tout moment pour sortir un exemple pertinent, à reformuler la phrase de votre prospect, à jouer avec l'humour ou la métaphore pour le convaincre. C'est un échange vivant, soumis à des imprévus.

L'IA, pour l'instant, fonctionne essentiellement par modèles prédictifs. Elle anticipe des réponses, elle peut même se montrer très bluffante dans des contextes balisés. Mais face à la complexité d'un interlocuteur humain, à l'imprévu, elle atteint vite ses limites. Elle n'a pas ce « flair » du chasseur expérimenté, qui sait d'instinct quand passer à l'étape suivante ou comment relancer une objection.


5.3. L'importance de la confiance dans la relation commerciale

Enfin, rappelons que dans un acte d'achat, surtout dans le B2B ou pour des montants significatifs, la confiance est déterminante. Pour instaurer la confiance, il faut des preuves tangibles, de la crédibilité, mais aussi une relation entre individus. Un prospect veut s'assurer que la personne en face comprend son métier, ses enjeux, qu'elle ne va pas lui vendre du vent. Il veut percevoir une implication, un intérêt sincère.

Cette confiance naît souvent d'échanges répétés, de discussions ouvertes, de conseils pertinents donnés sans arrière-pensée. Or, l'IA et l'automatisation, de par leur nature, risquent de dégrader ce sentiment de sincérité si elles sont mal utilisées. Au mieux, elles peuvent faciliter la prise de contact et alléger certaines tâches, mais elles ne remplaceront jamais la qualité relationnelle nécessaire à une véritable fermeture.


6. L'art de la chasse moderne : allier outils et humanité

6.1. Tirer le meilleur parti des CRM et des solutions d'automatisation

Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : je ne prône pas un retour à la préhistoire du téléphone à cadran et du fichier papier. Les CRM sont formidables pour garder une trace des interactions, planifier des relances, collaborer en équipe. Les outils d'e-mailing automatique ou d'enrichissement de données (Lusha, Dropcontact, etc.) peuvent faire gagner un temps fou pour constituer ou nettoyer des bases de prospects.

L'important, c'est de ne pas devenir l'esclave de ces outils. Il faut savoir les utiliser pour ce qu'ils sont : des facilitateurs, pas des substituts. Un bon commercial, un vrai chasseur, va se servir de l'automatisation pour gérer les tâches récurrentes, mais il prendra la main aussitôt qu'un contact montre un signe d'intérêt. Il va personnaliser son approche, adapter son discours, chercher à approfondir la relation.


6.2. Maintenir la dimension humaine, même dans une logique « multicanale »

La prospection multicanale n’est pas mauvaise en soi. Elle devient problématique lorsqu'elle est trop mécanisée, trop standardisée. Au contraire, un chasseur averti va exploiter chaque canal de façon intelligente : un appel téléphonique pour établir un premier contact direct, un e-mail personnalisé en relayant un lien spécifique qui pourrait intéresser le prospect, un message LinkedIn pour féliciter un interlocuteur d'une publication récente ou pour réagir à une actualité.

L'idée est de tisser un fil relationnel, de montrer qu'on est réellement attentif à l'entreprise ciblée. Cela demande plus de temps et d'efforts pour lancer une campagne massive. Mais le résultat en termes de taux d'ouverture, d'intérêt, de conversion est largement supérieur.


6.3. Réapprendre l'écoute active et l'argumentation

Aujourd'hui, les formations en vente mettent souvent l'accent sur des méthodes comme le SPIN, le Challenger Sale, ou sur l'utilisation optimale du CRM. C'est bien, mais on oublie parfois l'essentiel : l'écoute active, la reformulation, la gestion d'objections, l'argumentation en direct. Il y a un vrai besoin de réhabiliter ces compétences de base, qui font la différence entre un commercial lambda et un chasseur hors pair.

  • L'écoute active : savoir se taire, laisser son interlocuteur s'exprimer, ne pas le couper même si on croit avoir déjà la réponse.

  • La reformulation : montrer qu'on a compris le problème du prospect, éventuellement l'éclairer sous un angle différent.

  • La gestion d'objections : ne pas fuir les objections, ne pas les balayer d'un revers de main, mais prendre le temps de l'explorateur, de comprendre la source de la résistance.

  • L'argumentation : construire un raisonnement logique et persuasif, illustrer d'exemples concrets, rassurer sur les points clés (qualité, garantie, retour sur investissement).

Toutes ces compétences ne s'acquièrent pas en un claquement de doigts. Elles exigent de l'entraînement, de la pratique sur le terrain, du coaching par des managers seniors. Et elles font cruellement défaut à certains nouveaux commerciaux, qui se fient trop à la technologie pour « faire le job » à leur place.


7. Le closing : une affaire de panache et de confiance

7.1. Le closing n'est pas (encore) délégué à l'IA

On parle de plus en plus d'IA capable de négocier, de conclure des ventes. Dans la réalité, ces IA se cantonnent surtout à des ventes très standardisées (des produits de faible valeur unitaire, des processus d'achat simples). Dès qu'on touche à un investissement important ou à un achat stratégique, le prospect veut parler à un humain, poser des questions fines, négocier éventuellement certains termes.

C'est là que le chasseur de la vieille école excelle. Il sait sentir le moment propice, décélérer les signaux d'achat, comprendre les jeux de pouvoir au sein de l'entreprise cliente. Il n'hésite pas à offrir une concession pour prendre la décision, tout en faisant valoir la valeur de son offre. Il jongle avec le silence, la fermeté, la compréhension, pour emmener la relation vers un accord.


7.2. Les nouvelles méthodes de closing : un vernis sur l'essentiel ?

Certaines formations modernes insistent sur des techniques de closing plus ou moins complexes : le « assumptive close », le « takeaway close », le « yes set close », etc. Elles peuvent être utiles, mais elles ne remplaceront jamais la confiance, la crédibilité et la sincérité. Si vous passez tout le cycle de vente à réciter un script, à noyer le prospect sous des e-mails automatiques, vous aurez du mal à conclure en beauté, même avec toutes les astuces de manipulation verbale.

Inversement, si vous avez établi un lien solide, écoutez attentivement, démontrez la valeur de votre solution, le closing se fera presque naturellement. Il y aura parfois une dernière négociation, quelques détails à régler, mais le prospect sera enclin à signer parce qu'il aura reconnu en vous un interlocuteur compétent et fiable, pas un distributeur de phrases toutes faites.


7.3. Le « panache » du vrai commercial : courage, audace, authenticité

Le mot « panache » évoque l'image d'un mousquetaire intrépide, prêt à se jeter dans la bataille avec style et bravoure. Dans le domaine de la vente, ça se traduit par la capacité à prendre des risques, à oser aborder une perspective difficile, à accepter les refus et à apprendre de ses échecs. Le vrai commercial ne se décourage pas devant une fin de non-recevoir. Il persévère, il cherche une autre porte d'entrée  ou il se concentre sur un prospect plus réceptif.

Le panache, c'est aussi la fierté d'être un humain qui parle à d'autres humains. Ne pas se cacher derrière une machine, ne pas s'en remettre à des algorithmes pour faire le boulot. Loin de moi l'idée de diaboliser l'IA ou les outils numériques : ils sont un soutien, un atout. Mais ils ne doivent pas nous faire oublier ce qui fait le sel de la vente : la relation, le contact, la créativité, l'écoute et l'argumentation.


8. Conclusion : L'IA n'est pas la fin de la prospection, mais un outil parmi d'autres

Après ce long plaidoyer, vous aurez compris ma position : oui, l'IA et les outils d'automatisation ont leur utilité, et peuvent rendre la prospection plus efficace sur certains aspects. Mais non, ils ne remplaceront pas l'acte commercial fondamental, qui est et restera un échange humain, basé sur la confiance, l'écoute, l'argumentation et la clôture.

À vouloir innover à tout prix, sur un produit des générations de commerciaux qui ressemblent parfois à des machines, enchaînant les scripts, récitant des punchlines réchauffées, sans écouter vraiment. On a cru que le tutoiement systématique et les questions alambiquées suffiraient à nouer une complicité artificielle avec le prospect. Résultat : on se retrouve avec des prospects excédées, qui ne répondent plus, ou qui nous envoient gentiment balader.

Pendant ce temps, les vrais « chasseurs », ceux qui prennent leur téléphone, qui se documentent vraiment sur l'entreprise-cible, qui personnalisent leurs échanges, qui adaptent leurs arguments au fil de la conversation, continuent de signer des contrats. Peut-être moins vite, peut-être moins massivement, mais avec un taux de transformation plus élevé et une satisfaction client réelle.

Alors, qu'est-ce que j'appelle de mes vœux ? Un retour à l'équilibre. Oui, utilisez l'IA, mais comme un support, pas comme un remplaçant. Oui, formons les commerciaux à tirer parti des CRM et de l'automatisation, mais aussi et surtout à redevenir des êtres humains à l'écoute, capables de faire preuve de panache et d'audace au moment de convaincre. Oui, passons de la prospection multicanale à la prospection « intelligente », où chaque canal est exploité dans le but d'instaurer une relation sincère.

Ce n'est qu'en faisant ce pas de côté qu'on retrouvera l'essence même de la vente : la rencontre de deux volontés, celle du vendeur et celle du client, qui se rejoignent dans un accord gagnant-gagnant. Cette rencontre ne se décrète pas par un algorithme, elle se construit dans l'échange, la confiance et la persévérance.

Et pour conclure sur une note un peu malicieuse : si un jeune commercial me lit, qu'il retienne ceci : ce n'est pas parce qu'on t'a dit que tout le monde te dira « oui » si tu suis la bonne checklist, que c'est vrai. Il faut parfois se prendre des râteaux, faire face à des objections coriaces, accepter des silences embarrassés, et retenter sa chance autrement. Ce n'est pas la machine qui te l'enseignera, c'est le terrain. Va donc te confronter au réel, décrocher ton téléphone, et apprendre à être ce chasseur qui ose et qui persévère. Les vieux de la vieille, comme moi, te regarderont avec un sourire complice, car la vente reste un métier de passion, de sueur et de fierté.


Mot de la fin

En somme, l'IA et les CRM sont devenus incontournables dans l'arsenal du vendeur moderne. Mais ils ne sont pas le Graal. La prospection, qu'elle soit téléphonique, numérique ou multicanale, ne sera jamais un pur jeu d'automates. Le chasseur, avec son flair, sa ténacité, son sens de la répartie, reste un pilier irremplaçable. Sa force, c'est son panache, celui qu'aucun robot ne saura reproduire avec autant de spontanéité et de sincérité.

Alors, oui, les temps changent, les méthodes évoluent. Mais qu'on ne vienne pas me dire que l'on peut se passer de la prospection téléphonique ou du contact humain. Tant que les hommes feront des affaires avec d'autres hommes, il y aura toujours besoin de la chaleur d'une voix, d'un regard, d'une écoute active. C'est ça, la réalité de la vente, la vraie, celle qui me fait encore vibrer aujourd'hui, malgré mon « vieil âge » et mes explorations de toutes ces nouvelles technologies.

Et à ceux qui me contactent en me disant « Salut David, j'ai vu que tu t'intéresses à telle techno, ça te dit un call ? » sans même me demander la permission du tutoiement, je dis simplement : il vous manque un peu de respect, un peu de savoir-faire, et beaucoup d'âme de chasseur. Reprenez votre téléphone, appelez-moi, faites preuve de politesse, écoutez mes besoins. Alors, peut-être qu'on fera affaire ensemble. Sinon, vous finirez dans mes spams ou sur ma liste noire. Et ce serait dommage pour vous.

Vive la vente, vive la prospection téléphonique, et vivement le retour des chasseurs !


Qui suis-je ?

Depuis plus de 25 ans, j'évolue dans des secteurs exigeants comme l'automobile, l'aéronautique et l'ingénierie, où j'ai occupé divers postes de gestion et de direction. Confronté très tôt à une multitude de profils – et notamment à la diversité des personnalités commerciales – j'ai compris qu'au-delà des apparences, se cachent souvent des blocages psycho-affectifs (peurs, traumatismes, mécanismes de défense) qui impactent profondément la dynamique d'équipe et l'efficacité en vente.

Fort de mon expérience en coaching professionnel, j'ai développé une démarche unique reposant sur l'identification de 10 failles psycho-affectives (rejet, abandon, humiliation, trahison, injustice, dévalorisation, jalousie/envie, privation, empathie déficiente, altruisme excessif). Ces failles se déclinent en 20 typologies de personnalités difficiles à manager dans un contexte commercial : le fort caractère, le réservé introverti, le râleur, le dépendant, l'arrogant, le martyr, le manipulateur, le passif-agressif, le colérique, le perfectionniste, le présomptueux, l'anxieux, l'excessif, le blasé, le procrastinateur, le flemmard, l'égoïste, l'indifférent, le sacrificiel et l'auto-négligent.

Les éditions Géréso publieront en septembre prochain mon ouvrage présentant cette approche, spécialement pensée pour aider les commerciaux à comprendre et à surmonter leurs freins psycho-affectifs, afin de mieux se connaître et d'optimiser leurs performances de vente.


Mes modes d'intervention

Diagnostic personnalisé : J'interviens auprès des équipes commerciales et managériales pour réaliser un diagnostic précis de leurs besoins spécifiques. En identifiant les obstacles internes – tant individuels que collectifs – je conçois un plan d'accompagnement sur mesure, adapté à la réalité du terrain.


Formations et Coaching sur mesure : Que ce soit en formation collective ou en coaching individuel, j'utilise une palette d'outils et d'approches (MBTI, gestion du stress, développement du leadership commercial, etc.) pour renforcer les compétences essentielles. Mon objectif est de permettre aux commerciaux de :

  • Mieux gérer les personnalités difficiles, qu'il s'agisse de collègues ou de clients,

  • Développer leur intelligence émotionnelle et leur résilience,

  • Transformer leurs blocages en leviers de performance.


Intégration et pérennisation des nouvelles pratiques : Au fil des séances, j'accompagne l'intégration concrète de ces nouvelles méthodes dans le quotidien commercial. L'objectif est d'instaurer un environnement de travail sain et stimulant, garantissant ainsi des résultats durables et un impact positif sur la performance collective.


bottom of page